L’intelligence artificielle criminelle

J’ai été invité à une conférence en lien avec les risques que représente l’Intelligence artificielle dans la lutte contre les fakenews. Organisée par les Jeunes Blogueurs de l’UNICEF dans le cadre de l'initiative Mboka Digital, cette problématique pose l’éternel débat qui subsiste entre l’usage d’un produit dont les potentialités peuvent se muer en bienfaits ou en méfaits en fonction de l’usager. Donnez un couteau à une dame, elle s’en servira sûrement pour faire la cuisine. Entre les mains d’un criminel, le couteau devient source de maux.

À chaque fois que le progrès consacre de nouveaux usages, les personnes malveillantes chercheront le moyen de s’en approprier à des fins négatives. L’Intelligence artificielle est le nouveau paria d’une phobie qui semble s’emparer du monde, notamment depuis que les pionniers à la base de sa création se répandent en mises en garde et prédictions apocalyptiques. À la base de ces craintes, les risques associés à la désinformation auxquels, les concepteurs des fakenews ont désormais associé l’intelligence artificielle.

La première désinformation de masse sur le continent vint d’un défilé qui était supposé avoir réuni des personnes très âgées, mais au physique agréable, dont les clichés ont été largement partagés sur les réseaux sociaux, notamment en RDC.

Bien que l’auteur du concept ne cherchait pas à créer un fakenews, ceux qui ont repris et partagé ces photos ne se sont pas donné la peine de distinguer le vrai du faux. Puis vinrent d’autres clichés montrant Emmanuel Macron malmené par des manifestants, Donald Trump menotté, Elon Musk embrassant un robot ou encore le Pape épousant une religieuse.

Dans le monde très fermé de l’escroquerie en ligne, cinq principales applications sont de plus en plus utilisées pour dénuder une photo ou faire un montage en incrustant le corps de quelqu’un sur un acteur pornographique. Au-delà de votre image, les arnaqueurs trouvent utile de se procurer également un échantillon de votre voix pour mettre en avant la scène ou dans d’autres cas, pour simuler un appel téléphonique à l’un de vos proches ou collaborateurs (si vous avez été trop bavard sur ce que vous faites exactement dans la vie). Dans cette séquence, la tête de l'actrice américaine Jessica Alba est montée sur celle d'une actrice de films pornographique. 

Même les sites sont faux !

Mais il n’y a pas que l’image qui est au centre des enjeux liés à la désinformation. Des sites internet entiers avec du contenu créé artificiellement voient le jour. On se rappellera du communiqué de l’AOFFE (Observatoire américain pour des élections libres et transparentes) qui publia en mars 2023, un communiqué condamnant une proposition de loi. Le site a été désactivé juste après. Les informations techniques qui s’y rapportent indiquent qu’elles correspondent à celles d’arnaqueurs actifs dans la création de sites marchands frauduleux vendant des produits fictifs.

Se rappelle-t-on encore de ces sirènes ayant été filmées sur les rives du fleuve Congo à Kinshasa (Kinsuka) ? Imaginez si cela avait été réalisé grâce à l’IA. Meta a annoncé fin 2022 avoir supprimé de faux comptes créés par Intelligence artificielle tout comme Linkedin. Le comble est que certaines des images générées sont impossibles à pister sur les moteurs de recherche, rendant le travail de fact-checking complexe.

Quel avenir pour l’IA ?

L’Intelligence artificielle n’en est pas encore à un stade très avancé dans son développement. Elle est appelée à grandir par l’apprentissage. Néanmoins, son détournement par les acteurs malveillants d’aujourd’hui présente des risques de sécurité pour la neutralité de l’information et la cohésion sociale. Le risque qu’elle fait peser également sur la pérennité de nombreux emplois commence à inquiéter. Le grand danger résiderait dans la capacité d’une IA à penser par elle-même, ce qui ouvrirait le champ des possibles à des scénarios catastrophes où, par altruisme ou instinct de survie, elle décide de se passer des humains pour garantir la survie de la planète.

Si les applications actuelles ne sont pas totalement parfaites et laissent des indices que nos yeux d’humains arrivent encore à déceler, une entité dotée de cognition ne se limitera pas qu’à puiser dans une base de données pour faire un rendu comme ChatGPT et ses corolaires. Il y a cinq ans, des experts avaient rédigé un rapport sur l’utilisation des potentialités de l’intelligence artificielle par des États voyous, des criminels et des terroristes. Une crainte partagée de son vivant par le célèbre physicien Stephen Hawking.

L’humanité est pour le moment l’espèce la plus dominante au monde. Mais cette suprématie risque d’être rapidement conquise par l’IA dont le développement n’obéit pas aux contraintes biologiques de l’espèce humaine. Sortie en novembre 2022, ChatGPT appartient au déjà passé et il aura fallu près de 4 mois pour ces successeurs Bard et GPT-4 ne prennent le relais.

Je ne suis pas techno-sceptique. L’Intelligence artificielle a du bon en elle qui sert l’humanité dans de nombreux domaines. Elle améliore ce qu’on fait déjà de bien. Aux jeunes blogueurs présents lors de cet échange, il n'était pas question de peindre un tableau sombre, mais de sonner l'alarme sur ce qu'ils peuvent voir demain ou après demain concernant cet outil et s'y préparer. 

Mais à chaque fois que nous passons à une nouvelle étape de son développement, rappelons-nous simplement d’une chose : l’homme n’est pas irremplaçable.